Acquisition de la prosodie du français par des apprenants sinophones : Études acoustique, perceptive et électroencéphalographique

Bien que centrale dans la communication parlée, la prosodie reste un domaine moins exploré dans les travaux de recherche sur l’acquisition des langues secondes. Cette thèse traite de la segmentation et de l’organisation prosodiques en français chez des locuteurs natifs francophones et des apprenants sinophones de trois niveaux (débutants, intermédiaires, avancés). La prosodie assume notamment deux rôles clés : délimiter les unités syntaxiques et structurer le flux temporel-rythmique. Le mandarin, utilisant des tons lexicaux, mobilise différemment ces éléments, comparé au français. Notre recherche cherche à montrer comment les apprenants sinophones acquièrent la prosodie française pour traiter des ambiguïtés syntaxiques locales, illustrées par des phrases à clôture précoce (CP : « Chaque fois que le serpent mangeait, le rat se cachait. ») ou tardive (CT : « Chaque fois que le serpent mangeait le rat, le lapin se cachait. »). Pour cela, des données acoustiques (31 locuteurs : 10 natifs, 21 apprenants), perceptives (60 auditeurs : 20 natifs, 40 apprenants) et électroencéphalographiques (60 participants : 20 natifs, 40 apprenants) ont été analysées, totalisant 151 individus. Les résultats acoustiques révèlent que dès le niveau intermédiaire, les apprenants utilisent la montée du F0 et l’allongement final pour signaler les frontières CP et CT. Concernant l’organisation prosodique, les valeurs de neuf paramètres quantitatifs (%V, ΔC et ∆V, VarcoV et VarcoC, nPVI-V et rPVI-C, CCI-C et CCI-V) ont révélé une même tendance dans l’évolution du patron rythmique : il devient de plus en plus stable à mesure que le niveau de français progresse. Sur le plan perceptif, les apprenants (et, dans une moindre mesure, les natifs) rencontrent des difficultés accrues avec les structures complexes comme la CP. Les données EEG montrent que les frontières CP et CT activent une closure positive shift (CPS) chez tous les groupes, confirmant leur traitement neurocognitif. Une neuroplasticité est suggérée par les variations topographiques des CPS entre natifs et apprenants durant le traitement de la CP. La ramp-like negativity, observée pour la CT, reflète un processus top-down chez les natifs contre un mécanisme bottom-up chez les apprenants lors de l’analyse des indices acoustiques. En conclusion, cette recherche contribue à la compréhension de l’acquisition prosodique en L2 et met en lumière les différences comportementale et neurocognitive dans le traitement des frontières prosodiques localement ambiguës entre natifs et apprenants.