La lecture est un des savoirs fondamentaux acquis à l’école primaire. D’abord centré sur le décodage dans les premières années, l’enseignement se focalise ensuite essentiellement sur la compréhension et l’automatisation de la lecture. Cette automatisation, souvent désignée abusivement par le terme de fluence, est très fréquemment évaluée via une mesure du nombre de mots correctement lus par minute. Or, cette mesure se résume à évaluer le décodage et l’automatisation. Mais a lecture fluente du lecteur expert ne se résume pas seulement à une vitesse de lecture élevée, elle se caractérise également par une prosodie adaptée au texte, notamment en termes de phrasé et d’expressivité. En omettant l’aspect prosodique de la fluence, on tend à entretenir une confusion entre fluence et vitesse de lecture. Les dimensions prosodiques de la fluence ont longtemps été négligées dans l’étude du développement de la lecture. Seules quelques études récentes se sont intéressées à leur développement dans diverses langues, mais il n’en existe aucune en français. Ces études ont pu montrer, d’une part un développement long qui se poursuit au-delà de l’enseignement primaire et d’autre part un lien bidirectionnel entre prosodie en lecture et compréhension écrite. La dimension prosodique de la fluence mérite d’être plus largement étudiée, notamment chez l’apprenti lecteur, et c’est l’objectif de cette thèse. Dans ce travail de thèse, nous avons étudié les étapes de l’acquisition de la prosodie en lecture, ainsi que le lien entre prosodie en lecture et compréhension écrite, chez de jeunes lecteurs français du début de l’école primaire au début de l’enseignement secondaire. Nous abordons ces questions en utilisant trois types de mesures complémentaires de la prosodie : une mesure subjective à l’aide d’une échelle multidimensionnelle et deux mesures objectives que sont les marqueurs acoustiques de phrasé et d’expressivité et une méthode d’évaluation automatique basé sur l’analyse des signaux de parole. Les lectures de 323 enfants du CE1 à la 5ème et d’une vingtaine d’adultes ont été enregistrées, 60 enfants ont été également été suivis du CE1 au CM1. Dans un premier temps, nous avons abordé le développement des compétences prosodiques en lecture d’un point de vue subjectif, en adaptant une échelle anglophone d’évaluation de la prosodie au français. Ces données subjectives ont permis de retrouver le lien prosodie-compréhension en français déjà mis en évidence dans d’autres langues. Dans un deuxième temps, ces données ont été analysées acoustiquement, afin de déterminer les étapes d’acquisition de la planification des pauses et de la respiration, marquant le phrasé pendant la lecture. L’étude des corrélations entre scores subjectifs et marqueurs acoustiques a permis de mettre en évidence les marqueurs affectant le jugement de l’auditeur. Les données acoustiques ont ensuite été utilisées pour mieux comprendre le lien entre prosodie et compréhension. Finalement, nous utilisons un outil de prédiction automatique des scores à l’échelle subjective, utilisant paramètres acoustiques et références multiples. Cet outil est utilisé pour analyser les données longitudinales recueillies auprès de 67 enfants du CE1 au CM1. Ces données ont permis de proposer un modèle de croissance pour chaque dimension de la fluence et étudier les liens de causalité entre automaticité, prosodie et compréhension. Les connaissances acquises dans cette thèse sur le développement de la prosodie en lecture et son lien avec la compréhension écrite chez l’enfant français nous permettent de proposer de nouveaux outils d’évaluation de la fluence incluant la prosodie, et d’envisager le développement d’outils d’entrainement à la lecture prosodique. Ces outils offrent de nouvelles perspectives pour l’enseignement de la lecture ainsi que pour le diagnostic et la prise en charge des enfants en difficulté d’apprentissage de la lecture.