Interphonologie segmentale dans la perspective de la théorie de l’optimalité – le cas des apprenants cantonophones de français

La prononciation segmentale constitue le fondement de l’acquisition d’une langue seconde ou étrangère. La maîtrise du système des sons d’une langue étrangère présente de multiples défis pour les apprenants allophones, y compris de nouveaux gestes articulatoires et de nouveaux contrastes phonémiques. Le système langagier d’apprenants représente une organisation à la fois structurée, perméable et dynamique entre L1 et L2 selon les théories de l’« interlangue ». L’étude systématique de l’interlangue au niveau segmental renvoie à la notion d’« interphonologie segmentale ». Cette thèse porte sur trois sous-systèmes de l’interphonologie segmentale du français d’une approche linguistique : l’interphonologie labio-linguale (voyelles orales), l’interphonologie vélo-pharyngale (voyelles nasales) et l’interphonologie laryngale (consonnes obstruantes), par le moyen de l’étude d’un corpus des enregistrements de la prononciation segmentale des apprenants cantonophones de français en proposant une modélisation analytique de la génération de l’interphonologie segmentale. Du point de vue méthodologique, l’interphonologie segmentale concerne à la fois le niveau phonétique et le niveau phonologique de l’interlangue. Dans un premier temps, nous avons mesuré et décrit sur le plan acoustique la prononciation des segments du français à l’aide la phonétique expérimentale afin de trouver les différences systématiques entre les apprenants et les locuteurs natifs. Dans un deuxième temps, nous avons identifié et repéré les effets du transfert de L1 et de la grammaire universelle sur l’épenthèse, l’effacement et la substitution des traits segmentaux en recourant à la phonologie des traits distinctifs et à la théorie du Sound Pattern. Enfin, nous avons essayé de dévoiler sur le plan cognitif les modalités différentes de la rétrogradation de la fidélité par les contraintes de marque et de transfert dans le cadre de la théorie de l’optimalité. La théorie de l’optimalité (OT) nous a aidés à analyser les processus de génération des formes de surface (output) à partir des formes sous-jacentes (input). Pour les apprenants de L2, les segments d’input représentent les formes cibles, qui relèvent des formes sous-jacentes. Contrairement aux locuteurs natifs, les formes d’output divergent dans le cas où l’apprenant ne maîtrise pas parfaitement le système segmental de la langue cible. Le cadre de la théorie de l’optimalité nous a permis donc d’expliciter les causes primaires de la génération de la production de surface de l’apprenant, qui est différente de celle des locuteurs natifs, par la comparaison des ordonnancements des contraintes cognitives dans les processus interphonologiques. En nous appuyant sur cette approche conceptuelle, la présente thèse s’est orientée vers une modélisation analytique de la hiérarchisation du transfert linguistique et de la marque typologique contre la fidélité dans l’output de l’interphonologie segmentale du français. À partir des descriptions phonétiques et des analyses phonologiques des trois sous-systèmes interphonologiques du français, les résultats de notre travail ont d’abord soutenu l’hypothèse de « transfert partiel / accès partiel », c’est-à-dire que l’interphonologie segmentale est soumise à la fois aux contraintes du transfert et de la grammaire universelle. Nos analyses ont ensuite confirmé que la grammaire universelle l’emporte sur le transfert : les traits segmentaux marqués ne se transfèrent pas, et les traits segmentaux non-marqués émergent dans le système interphonologique. Enfin, la modélisation de rétrogradation de la fidélité dans la prononciation des apprenants nous a permis de découvrir que les contraintes de transfert jouent un rôle essentiel dans l’épenthèse segmentale et que la marque contribue considérablement à l’effacement de segments dans l’interphonologie. Dans le cas où le transfert et la marque s’opposent l’un à l’autre, nous constatons la substitution des traits distinctifs. Dans l’ensemble, la marque domine le transfert, tous deux inhibant la fidélité de l’output dans l’interphonologie segmentale.