Modélisation Bayésienne de la planification motrice de la parole: variabilité, buts multisensoriels et intéractions perceptuo-motrices

Contexte et objectif: C’est presque une banalité que de dire qu’une des caractéristiques principales de la parole est sa variabilité : variabilité inter-sexe, inter-locuteur, mais aussi variabilité d’un contexte à un autre ou d’une répétition à une autre pour un même sujet. C’est cette variabilité qui fait à la fois la beauté de la parole mais aussi la complexité de son traitement par les technologies vocales, et la difficulté pour en comprendre les mécanismes. Dans cette thèse nous étudions certains aspects de cette variabilité, avec comme point de départ la variabilité observée chez un locuteur dans la répétition d’un même son dans les mêmes conditions, que nous appelons variabilité intrinsèque. Les modèles de contrôle moteur de la parole abordent principalement la variabilité contextuelle de la parole mais prennent rarement en compte sa variabilité intrinsèque, alors même que l’on sait que c’est cette variabilité qui donne à la parole tout son caractère naturel. Dans le contexte g
énéral du contrôle moteur, l’origine précise de la variabilité intrinsèque reste peu comprise et controversée. Cependant, une hypothèse courante est que la variabilité intrinsèque serait essentiellement due à du bruit neuronal dans la chaine d’exécution. L’objectif principal de cette thèse est d’aborder la variabilité intrinsèque et contextuelle de la production de la parole dans un cadre formel intégrateur. Pour cela nous faisons l’hypothèse que la variabilité intrinsèque n’est pas que le résultat d’un bruit d’exécution, mais qu’elle résulte aussi d’une stratégie de contrôle où la variabilité inter-répétition fait partie intégrante de la représentation de la tâche. Méthodologie: Nous formalisons cette idée dans un cadre computationnel probabiliste, la modélisation Bayésienne, où l’abondance de réalisations possibles d’un même item de parole est représentée naturellement sous la forme d’incertitudes, et où la variabilité est donc manipulée formellement. Nous illustrons la pertinence
de cette approche à travers trois contributions. Résultats: Dans un premier temps, nous reformulons un modèle existant de contrôle optimal de la parole, le modèle GEPPETO, dans le formalisme probabiliste et démontrons que le modèle Bayésien contient GEPPETO comme un cas particulier. En particulier, nous illustrons comment l’approche Bayésienne permet de rendre compte de la variabilité intrinsèque tout en incluant les mêmes principes d’émergence et de structuration de la variabilité contextuelle proposés par GEPPETO. Dans un deuxième temps, le formalisme nous permet de dépasser le cadre de GEPPETO en y intégrant une composante somatosensorielle dans la représentation des buts. Cela permet d’introduire une variabilité interindividuelle sur la préférence sensorielle, c’est-à-dire la modulation des poids relatifs des cibles auditives et somatosensorielles, et permet d’expliquer la variabilité de compensation observée dans les études de perturbation sensorielle. Cette étape a nécessité
l’élaboration d’hypothèses sur l’intégration des retours sensoriels dans la planification, dont nous avons cherché à évaluer la pertinence en concevant une expérience originale de production-perception de parole. Dans un troisième temps, nous exploitons le formalisme pour réinterpréter des données expérimentales récentes qui mettent en évidence un changement perceptif consécutif à un apprentissage moteur induit par une altération du retour auditif. Cela est rendu possible grâce à la représentation unifiée des connaissances dans le modèle, qui permet d’intégrer la production et la perception dans un cadre formel unique. L’ensemble de ces travaux illustre la capacité du formalisme Bayésien à proposer une démarche systématique et structurée pour la construction des modèles. Cette démarche facilite le développement des modèles et leur complexification progressive en précisant et explicitant les hypothèses formulées.