Résumé :
Le raisonnement contrefactuel est un procès cognitif universel par lequel la réalité est comparée avec ce qui aurait pu se passer autrement (Kahneman & Tversky 1982). L’expression de la contrefactualité repose traditionnellement sur l’analyse des constructions conditionnelles si A (alors) B (Grevisse 1986, Chevalier et al. 1964, Riegel et al. 1994). Le but de notre étude est de décrire l’ensemble des constructions et des moyens grammaticaux par lesquels des locuteurs natifs expriment la contrefactualité en français, en espagnol, en italien et en français langue étrangère (FLE).
Notre étude est fondée sur des données conversationnelles auprès de deux groupes d’apprenants FLE – trente hispanophones et trente italophones – et de trois groupes de contrôle : français, espagnol et italien. Pour l’enquête, nous avons utilisé comme stimulus un récit présentant une chaîne causale menant à un aboutissement malheureux (Wells & Gavanski 1989). Suite à la lecture du stimulus, nous avons demandé aux participants de proposer plusieurs alternatives afin d’éviter le dénouement malheureux (tâche mutationnelle).
Nos résultats mettent en évidence que les noyaux mutationnels produits par le groupe de contrôle français combinent, le plus fréquemment, un marqueur du passé et un verbe modal (i.e., elle aurait pu choisir toute seule son plat). Les implications sémantiques de ce type de construction rendent difficile son acquisition en FLE, puisque l’apprenant doit produire un scenario alternatif lequel signifie sa propre subjectivité. L’emploi natif de ce conditionnel modalisé n’émerge que dans les variétés d’apprenant les plus avancées en termes d’immersion dans le milieu de la langue cible et d’études FLE. Nos résultats montrent que les constructions en si- ne constituent pas le moyen le plus fréquent pour parler de ce qui aurait pu se passer autrement ni en français, ni en espagnol, ni en italien. La non-prééminence des constructions conditionnelles dans l’expression de la contrefactualité devrait amener à une réflexion sur les limites de la conditionnalité en tant que procès de concept
ualisation de l’irréel.