Rythme et structuration prosodique en anglais britannique contemporain.

Résumé :

MOTS-CLÉS : Aix-MARSEC, ambisyllabicité, anacrouse, isochronie, pied accentuel, prosodie, rythme, unité rythmique étroite/ Narrow Rhythm Unit (NRU)

Ce travail s’inscrit dans la problématique plus large de la prédiction de l’organisation temporelle de l’anglais. Plusieurs approches ont été proposées, celles-ci différant notamment sur le plan de l’unité choisie. On peut regrouper les nombreux modèles en trois catégories : les modèles segmentaux, syllabiques et supra-syllabiques.

Les modèles segmentaux cherchent à prédire la durée des segments en fonction d’un certain nombre de paramètres relevant notamment de l’identité des segments, du statut accentuel, de la position dans les unités supérieures et de l’environnement phonétique. Ces modèles posent deux problèmes, celui de la variabilité importante de la durée des phonèmes et celui de l’interaction de nombreux facteurs influençant cette durée.

Les modèles syllabiques furent proposés en réponse à ces problèmes ; leur but est de prédire dans un premier temps la durée des syllabes, puis, à partir de cette durée, de calculer la durée des segments qui la composent. Le problème impliqué par de tels modèles réside dans le découpage des énoncés en syllabes ou plus exactement dans la syllabification des consonnes intervocaliques. De telles consonnes peuvent être syllabifiées en attaque de syllabe suivante (Principe d’Attaque Maximale), en coda de syllabe précédente ou avec les deux syllabes adjacentes (principe d’ambisyllabicité). Dans ce travail, nous nous intéressons de plus près à cette problématique de syllabification avec une attention particulière pour le principe d’ambisyllabicité.

Dans les modèles supra-syllabiques, la durée des unités, le plus souvent les unités rythmiques, est tout d’abord prédite en fonction de facteurs purement rythmiques ; ils prédisent par la suite la durée des unités de niveau inférieur. Ce type de modèle pose la question de l’unité rythmique à utiliser. L’unité généralement choisie est le pied accentuel (Abercrombie) : un pied débute avec une syllabe accentuée et englobe toutes les syllabes inaccentuées suivantes jusqu’à la syllabe accentuée suivante (mais sans l’inclure) ou jusqu’à la pause suivante. Un autre modèle supra-syllabique a également été proposé plusieurs années auparavant (Jassem) dont la différence réside dans la délimitation des unités rythmiques. Dans ce modèle, l’unité rythmique débute également avec une syllabe accentuée mais englobe toutes les syllabes inaccentuées suivantes jusqu’à la frontière de mot ; cette unité est l’unité rythmique étroite (Narrow Rhythm Unit ou NRU). Les syllabes inaccentuées restantes appartiennent à l’anacrouse qui possède comme particularité d’être prononcée très rapidement. La différence entre les deux modèles réside par conséquent dans la prise en compte de la présence des frontières de mot. Le pied comme la NRU possèdent deux points communs ; premièrement, les unités rythmiques ont une durée approximative quel que soit le nombre de sous-constituants, ceci correspondant au concept d’isochronie faible, contrairement au concept d’isochronie stricte selon lequel la durée des unités rythmiques est constante quel que soit le nombre de sous-constituants. Deuxièmement, les deux modèles font comme prédiction que les syllabes comprises dans les pieds et les NRU se répartissent la durée de l’unité rythmique de manière égale quel que soit leur statut accentuel. Ceci implique une absence d’effet allongeant de l’accent, contrairement aux différentes études présentes dans la littérature selon lesquelles l’accent influence la durée des syllabes/ phonèmes de manière significative. L’évaluation et la comparaison de ces deux modèles représentent la deuxième problématique de ce travail puisque nous évaluons les deux modèles dans le but de déterminer lequel de ces deux modèles représente le mieux les caractéristiques rythmiques de l’anglais britannique.
Les différents tests sont effectués sur la base de données Aix-MARSEC, un corpus d’anglais britannique de plus de cinq heures de parole authentique. Nous avons au préalable effectué un certain nombre de traitements automatiques comme dans un premier temps la phonétisation du corpus (phonétisation par extraction automatique du lexique, puis optimisation de cette phonétisation par application de règles d’élision de phonèmes). Le corpus a ensuite été aligné temporellement aux niveaux des phonèmes, des constituants syllabiques, des syllabes, des pieds accentuels, des NRU, des mots et des unités intonatives mineures et majeures.

L’évaluation et la comparaison des deux modèles rythmiques de Jassem et d’Abercrombie se font en fonction de trois hypothèses : l’isochronie stricte, l’isochronie faible et l’effet de l’accent sur la durée des sous-constituants (syllabes, phonèmes). Les résultats statistiques ne révèlent aucune isochronie stricte : les unités rythmiques (pieds accentuels ou NRU) n’ont pas toutes la même durée quel que soit le nombre de sous-constituants. Ce résultat n’est pas surprenant et il rejoint les différentes études portant sur l’isochronie stricte en anglais. En revanche, il semble exister une tendance vers l’isochronie faible puisqu’on observe un certain degré de compression des sous-constituants dans les pieds accentuels et les NRU. Ce phénomène est toutefois plus marqué dans les NRU, ce qui semble montrer que le modèle de Jassem rend mieux compte de la structuration rythmique de l’anglais britannique. La troisième hypothèse concerne l’effet de l’accent sur la durée des sous-constituants ; dans les résultats que nous obtenons, il ne semble pas y avoir d’allongement accentuel sur les phonèmes dans les NRU. Ce résultat est surprenant mais semble montrer que c’est l’appartenance à la NRU plutôt que l’accent qui influence la durée des sous-constituants.
La question de l’ambisyllabicité est ensuite traitée grâce dans un premier temps à des tests statistiques dans la base de données Aix-MARSEC. Les consonnes intervocaliques à l’intérieur des mots sont doublement annotées, tout d’abord en tant qu’attaques selon le principe d’attaque maximale puis ambisyllabiques selon le principe d’ambisyllabicité ; les codages sont effectués en respectant les contraintes phonotactiques de cooccurrence. Il ne semble pas y avoir de différence significative entre la durée des consonnes ambisyllabiques et celle des attaques, ce résultat semble donc être une preuve allant à l’encontre du principe d’ambisyllabicité. En revanche, on observe une différence très significative entre la durée des voyelles précédant les consonnes ambisyllabiques et la durée de celles précédant les codas. Nous obtenons par conséquent des résultats intermédiaires qui nécessiteraient des tests supplémentaires avant de pouvoir tirer une conclusion tranchée.

Ces résultats concernant l’ambisyllabicité sont ensuite complétés par une expérience en production au cours de laquelle on demande implicitement à 14 locuteurs anglophones natifs de découper une série de phrases en syllabes. Ces découpages révèlent qu’environ 84% des consonnes intervocaliques sont syllabifiées en attaques de syllabes suivantes, 13% en codas de syllabes précédentes et 3% en consonnes ambisyllabiques. Ces résultats montrent que, même si les regroupements codaïques et ambisyllabiques ne sont pas totalement absents du système phonologique de l’anglais britannique, les regroupements en attaque sont largement prééminents. A partir des 13% de regroupements codaïques et des 3% de regroupements ambisyllabiques, nous avons testé l’effet d’un ensemble de facteurs cités par Treiman et Danis, à savoir la nature et la complexité orthographique de la consonne intervocalique, la nature de la voyelle précédente et le patron accentuel. Il ressort que ces facteurs ont tous un effet très significatif sur l’apparition des regroupements codaïques et ambisyllabiques, mais dans des proportions et des tendances différentes selon le type de regroupement. Par exemple, les consonnes ambisyllabiques sont plutôt des sonorantes orthographiquement doubles alors que les consonnes codaïques correspondent plutôt à des consonnes orthographiques simples avec des proportions voisines concernant les sonorantes et obstruantes. Les deux types de consonnes se retrouvent en grande majorité après une syllabe accentuée, notamment si celle-ci possède une voyelle courte. On retrouve donc ici l’argument principal en faveur des syllabifications codaïques ou ambisyllabiques, à savoir l’impossibilité en anglais d’avoir des syllabes accentuées ouvertes avec une voyelle courte.