Cette thèse examine les compétences phonétiques et linguistiques des enfants porteurs d’implants cochléaires (IC) en comparaison avec celles des enfants à audition typique (AT). L’objectif principal est de comprendre comment les limitations perceptives associées aux IC influencent le développement des compétences linguistiques, notamment dans les domaines phonologique et morphosyntaxique. Les études existantes ont montré une variabilité significative des performances linguistiques chez les enfants avec IC, mais peu ont tenté de relier ces performances à leurs profils perceptifs et productifs au sein d’un même groupe d’enfants. Afin de combler cette lacune, cette thèse explore les segments linguistiquement vulnérables en français, tels que les voyelles nasales et orales ainsi que les consonnes fricatives. Elle analyse également les compétences lexicales et morphosyntaxiques tout en prenant en compte des facteurs critiques tels que l’âge à l’implantation et l’exposition à la Langue française Parlée Complétée (LfPC). L’investigation de ces questions a été menée à travers six études et deux collectes de données. La première collecte de données visait à fournir une description approfondie des compétences de perception et de production des voyelles nasales et orales en français. Les voyelles nasales sont particulièrement intéressantes car elles impliquent un traitement spectral fin, notamment des informations de basses fréquences, souvent encodées de manière imprécise par les IC. Treize enfants porteurs d’IC (groupe IC) et 25 enfants avec AT (groupe AT), âgés de 5 à 12 ans, ont été recrutés. Les tâches incluaient l’identification et la discrimination des voyelles ainsi que la répétition de pseudo-mots dans des phrases pour évaluer les capacités perceptives et productives des participants. Cette collecte de données a conduit aux deux premières études de la thèse. La première étude portait sur les compétences d’identification et de discrimination des voyelles nasales et orales. Les enfants avec IC ont montré des performances inférieures à celles de leurs pairs avec AT, bien que leurs scores dépassent les niveaux de hasard, atteignant parfois 80 %. Les erreurs les plus fréquentes impliquaient des substitutions entre les voyelles nasales et leurs contreparties orales proches. Les analyses ont révélé que l’exposition à la LfPC et une implantation précoce étaient associées à de meilleures performances perceptives, notamment grâce à une meilleure utilisation des indices acoustiques, tels que les indices temporels, qui seraient mieux encodés par les IC. La deuxième étude portait sur la production des voyelles nasales et orales, via des jugements perceptifs et des analyses acoustiques des productions des deux groupes. Les résultats ont indiqué que les enfants régulièrement exposés à la LfPC (CS+) produisaient des voyelles mieux identifiées par les juges en comparaison avec les enfants IC occasionnellement exposés à la LfPC (CS−) et même les enfants AT. Sur le plan acoustique, les deux groupes IC (CS− et CS+) avaient des difficultés à distinguer les voyelles nasales et orales en termes de nasalité, ce qui reflète les limitations perceptives des IC, car la nasalité implique un traitement spectral fin. Cependant, le groupe CS+ a démontré une meilleure capacité à distinguer les voyelles nasales et orales en utilisant des indices liés à la configuration oropharyngée (mesurés par les fréquences de formants) et à la longueur des segments. Ce sous-groupe semblait non seulement exploiter les indices acoustiques accessibles pour la perception (comme noté dans l’étude 1) mais aussi adopter des mécanismes productifs basés sur des corrélats acoustiques, améliorant l’intelligibilité grâce à des taux d’identification plus élevés par les juges. Une deuxième collecte de données a été menée pour documenter toutes les composantes du langage (phonétique, phonologique, lexicale et morphosyntaxique) au sein des mêmes groupes d’enfants. Cela a permis d’examiner les compétences phonétiques pour différents segments considérés comme à risque (voyelles nasales/orales, consonnes fricatives et plosives) et de documenter les compétences phonologiques, lexicales et morphosyntaxiques tout en examinant les relations entre ces composantes. Un total de 23 enfants avec IC et 47 enfants AT, âgés de 4 à 6 ans, ont participé. Les tâches incluaient la dénomination d’images, l’appariement mot-syntaxe/image et la production de récits. Cette deuxième collecte de données a soutenu les études 3 à 6. Notamment, 13 enfants IC ont complété l’ensemble de la batterie de tests à nouveau un an plus tard, permettant des comparaisons longitudinales des performances pour ce sous-groupe (résultats présentés dans l’étude 6). La troisième étude a examiné les compétences de production des consonnes fricatives en utilisant des analyses phonologiques et acoustiques. Les consonnes fricatives ont des corrélats acoustiques dans les hautes et très hautes fréquences, qui peuvent potentiellement dépasser les limitations technologiques du codage sonore par les IC, rendant ces segments particulièrement vulnérables pour les utilisateurs d’IC. Les résultats ont montré que les enfants avec IC produisaient des fricatives correctes moins fréquemment et faisaient plus d’erreurs, telles que des changements de mode d’articulation (fricatifs ou occlusifs), par rapport à leurs pairs avec AT. Acoustiquement, leurs productions différaient, avec des pics d’amplitude réduits dans les bandes de hautes fréquences. Ces résultats soutiennent l’idée que les limitations technologiques et acoustiques des IC affectent les compétences perceptives et productives. Pour obtenir une vue d’ensemble des performances acoustiques productives à travers différents types de segments, la quatrième étude a documenté les compétences phonologiques et phonétiques pour les voyelles nasales/orales, les fricatives et les consonnes plosives voisées/non voisées. Inclure les traits de voisement parmi les plosives a permis de mettre en lumière des segments distingués par des indices acoustiques temporels. Les résultats ont montré que les enfants avec IC avaient une précision phonologique inférieure à celle des enfants AT, bien que des stratégies compensatoires aient été observées, particulièrement chez ceux exposés à la LfPC. Les distinctions acoustiques pour les segments linguistiques variaient selon leur nature (voyelles nasales, fricatives ou plosives). Ces résultats renforcent l’idée que les enfants avec IC peuvent exploiter des indices acoustiques mieux transmis pour surmonter les limitations perceptives. La cinquième étude a exploré les liens entre les compétences phonologiques, morphophonémiques et morphosyntaxiques. Les enfants avec IC ont montré des difficultés spécifiques à traiter les contrastes entre les voyelles nasales et orales. Leurs productions narratives étaient caractérisées par des énoncés plus courts, une diversité lexicale réduite et un usage limité de marqueurs morphologiques complexes. Les analyses corrélationnelles ont révélé une forte interdépendance entre les composantes phonologiques et morphosyntaxiques, mettant en évidence une interaction étroite entre ces niveaux linguistiques chez les enfants avec IC. Enfin, la sixième étude visait à examiner les profils de production acoustique parallèlement aux performances linguistiques phonologiques, lexicales et morphosyntaxiques. Une analyse factorielle de toutes les mesures acoustiques et linguistiques a identifié trois dimensions principales : les performances linguistiques générales, la capacité à distinguer les voyelles nasales et orales via la nasalité, et l’utilisation des hautes fréquences dans la production des fricatives. Une classification hiérarchique basée sur ces dimensions a révélé quatre profils de performances distincts, allant de faibles à élevées. Les faibles performances linguistiques étaient associées à des profils de production acoustique montrant une distinction limitée des segments à risque et un usage minimal de stratégies compensatoires. Des facteurs tels que l’âge à l’implantation, l’exposition à la LfPC et le statut socio-économique ont été identifiés comme des influences potentielles sur la répartition des clusters chez les enfants avec IC. Parmi les 13 enfants IC qui ont complété toutes les tâches à un an d’intervalle, les comparaisons longitudinales ont montré des trajectoires variées, avec seulement une minorité (4 sur 13) progressant vers des clusters associés à des performances linguistiques élevées, suggérant un développement langagier plus lent. En conclusion, cette thèse met en lumière les défis complexes auxquels sont confrontés les enfants avec IC dans leur développement linguistique et les stratégies qu’ils adoptent pour y faire face. Les résultats soulignent l’importance d’un soutien précoce et adapté, incluant des approches multimodales comme la LfPC, pour promouvoir l’utilisation d’indices acoustiques pertinents afin de distinguer les segments à risque et d’atteindre de meilleures performances linguistiques.