Le contrôle moteur a traditionnellement été étudié séparément des autres processus cognitifs qui sous-tendent la parole, dans la lignée de théories de la cognition présentant le cerveau comme un ensemble de modules relativement indépendants (Fodor & Pylyshyn, 1988). Cependant les recherches autour de la cognition incarnée (Varela et al., 1991) et située (Barsalou, 2008), ainsi que des systèmes dynamiques (Smith & Thelen, 2003), menées ces trois dernières décennies soulignent que la cognition ne peut pas être considérée séparément d’un corps et de son environnement. Ce cadre constitue une source d’inspiration pour cette thèse et une motivation pour étudier les processus sensorimoteurs de la parole en lien avec les autres processus cognitifs. La parole peut-être décomposée en séquence d’unités linguistiques structurées sous forme d’une hiérarchie. Nous soutenons que ces unités sont ancrées dans des représentations sensorimotrices, associant une structure linguistique avec des informations perceptives et motrices. Ces unités correspondent-elles à des mots ? Des syllabes ? Des phonèmes ? Pour sonder les représentations assurant l’articulation de la parole, nous proposons d’utiliser un paradigme d’apprentissage auditorimoteur basé sur la perturbation du retour auditif (Caudrelier & Rochet-Capellan, sous presse). Ce paradigme permet de modifier chez un locuteur des représentations sensorimotrices spécifiques, les représentations qui sous-tendent la production d’un item d’entrainement, par exemple un mot. Nous faisons ainsi l’hypothèse que si cette modification affecte la prononciation d’un autre mot, cela veut dire que la production de ce mot s’appuie sur une partie de ces représentations. Ainsi, l’observation du transfert d’apprentissage permet de révéler la structure de représentations qui assurent la production de parole. Une première étude chez l’adulte montre que le transfert d’apprentissage auditorimoteur a lieu à la fois aux niveaux du phonème, de la syllabe et du mot (Caudrelier, Schwartz, et al., 2018). Ces observations suggèrent que ces unités co-contribuent à l’articulation de la parole chez l’adulte. Les résultats sont mis en perspective par rapport aux théories et modèles de production de parole. Une 2ème expérience suggère que la modalité de présentation du stimulus (un mot à lire ou une image à dénommer) peut influencer le transfert d’apprentissage auditorimoteur (Caudrelier, Perrier, et al., 2018). Une 3ème étude chez des enfants de 4-5 ans et de 7-8 ans montre que les représentations du phonème émergent avant l’acquisition de la lecture (Caudrelier & Rochet-Capellan, sous presse). De plus, un lien entre adaptation à la perturbation auditive et conscience phonologique est mis en évidence dans les deux groupes d’âge. Le potentiel caractère prédictif ou causal de ce lien est discuté. En conclusion, cette thèse exploite un outil original et productif pour explorer les représentations de la parole et étudier leur développement. Ce travail pourrait avoir des implications cliniques, pour la rééducation de la parole, et pour la dyslexie développementale. Il met en évidence des liens entre les niveaux sensorimoteurs, linguistiques et contextuels qui questionnent la nature des représentations qui sous-tendent la parole.