Corrélats cérébraux de l’adaptation de la parole après exérèse de la cavité orale.

Résumé :
Ce travail étudie les corrélats cérébraux de l’adaptation de la parole et de la motricité oro-faciale après l’exérèse chirurgicale d’une tumeur intra-orale. Une attention particulière est portée à la recherche de corrélats révélant une redéfinition des buts de la tâche, une réorganisation de la coordination motrice, et une modification des représentations internes du système moteur. Trois tâches ont été étudiées : production de mouvements oro-faciaux silencieux ; production de voyelles ; production de syllabes. Les activités cérébrales ont été mesurées par IRM fonctionnelle au cours de 4 sessions, en pré-opératoire, puis 1 mois, 3 mois et 9 mois après la chirurgie. Onze patients et onze sujets sains ont été enregistrés. Pour les patients, trois types de données informant sur leur récupération motrice ont été acquis aux mêmes périodes : données praxiques ; signal acoustique de parole ; auto-évaluation de la qualité de parole. Trois analyses statistiques ont été menées sur les données cérébrales : (1) une analyse  » cerveau entier  » sur les amplitudes des activations ; (2) une analyse de la localisation de l’activation principale dans le cortex moteur primaire ; (3) une analyse en régions d’intérêt dans le réseau cérébral de la parole, via un modèle linéaire général dans lequel le facteur Groupe (Patients/Sains) a été remplacé par une covariable continue, l' » Indice d’Adaptation Motrice  » ou  » IAM « , mesurant le niveau de dégradation de la parole, puis son amélioration dans les mois suivants l’opération. Les effets et les interactions des facteurs Groupe (ou IAM), Session et Tâche sur la variable dépendante ont ainsi été mesurés. Toutes tâches et toutes sessions confondues, les patients se distinguent des sujets sains par une activité cérébrale plus faible dans les zones sensori-motrices oro-faciales. Des effets de la session sont observés pour toutes les tâches, pour les patients et les sujets sains. Seules les tâches de motricité silencieuse et de production des voyelles révèlent des effets de la session sur l’activité cérébrale significativement différents pour les patients et les sujets sains. Ainsi, pour la motricité silencieuse, 1 mois après l’opération, les patients montrent, pour la tâche linguale, une forte activité dans le Lobule Pariétal Supérieur (LPS) et dans le Cortex Pré-Frontal Dorso-Latéral (CPFDL). Pour les voyelles, 3 mois après la chirurgie, l’activité cérébrale des patients décroît dans le cervelet et croît fortement dans le Lobule Pariétal Inférieur ; de 3 à 9 mois après la chirurgie, l’activité croît dans les zones motrices (Cortex Moteur Primaire et Aire Motrice Supplémentaire) et elle décroît dans le Gyrus Temporal Supérieur. Les patients montrent aussi 1 mois après l’opération, tous articulateurs confondus, une localisation plus dorsale de l’activité dans le Cortex Moteur Primaire. Pour des tâches motrices silencieuses, nos observations suggèrent que, immédiatement après l’opération, les patients pourraient réactualiser leur modèle interne du système moteur (activité dans le LPS), devenu imprécis, tout en ré-élaborant leurs stratégies de coordination (activité dans le CPFDL). Pour la production des voyelles, tâche plus complexe et plus précise, nos résultats suggèrent que 3 mois après l’opération, les patients utiliseraient moins les modèles internes devenus trop imprécis. Le retour à une activation forte dans les zones motrices 9 mois après l’intervention suggère que l’adaptation de la production des voyelles est quasiment achevée, et la baisse concomitante de l’activation dans le cortex auditif est cohérente avec l’hypothèse qu’il existerait de nouveau une adéquation entre la copie d’efférence auditive et le feedback auditif externe. Pour la production de syllabes, les résultats sont les moins pertinents parmi les 3 tâches. Une réorganisation plus tardive, au-delà de 9 mois, due à la plus grande complexité de la tâche, pourrait en être une explication potentielle.